Chers amis lecteurs,
Pour ce premier article de l’année, je voudrais revenir sur une sentence du Pasteur protestant Eric George, écrite dans le feu d’une joute « fleuve » sur le péché originel et l’existence du démon (cf. Ce que nous enseignent les sciences de la nature : commentaire n° 111).
« La foi, dit le Pasteur, est un don pas une conséquence de mon intelligence... Maintenant, si vous avez une preuve de l'existence de Dieu à me fournir, je suis preneur... En fait non ! je préfère la foi au voir... »
Il me semble que le Pasteur fait la confusion, par trop habituelle dans les milieux chrétiens – y compris catholiques –, entre la foi en Dieu et la croyance en l’existence de Dieu.
La foi est un don que Dieu communique par la Révélation et une lumière surnaturelle qui vient du Saint Esprit. La croyance en l’existence de Dieu est un don que Dieu communique par la Création et la lumière naturelle de la raison.
Tout homme peut avoir connaissance de l’existence de Dieu à partir de ses seules facultés naturelles, sans l’aide de la Révélation ni grâce particulière du Saint Esprit, à partir de l’observation de l’œuvre de la Création et d’une réflexion sur l’Univers physique et la Nature qui nous environne.
Nul besoin de la foi pour croire en l’existence de Dieu : l’activité de la seule intelligence suffit. Dire cela n’enlève rien à Dieu, puisque tout nous est donné par lui : et l’Univers physique que nous observons, et notre intelligence avec laquelle nous réfléchissons sur l’Univers physique.
En un sens, la Création est le premier livre de la Révélation. Par la Création, Dieu nous parle. Il nous révèle son existence, et quelque chose de son essence. Et cette Révélation est accessible à tous les hommes. Même les tribus les plus reculées et les plus primaires ont conscience que la Création est révélatrice d’une réalité transcendante (ou immanente, en tous les cas : surnaturelle, divine). C’est là l’intuition la plus commune et la plus universelle qui soit.
En cette fête de l’Epiphanie, qui est la manifestation de Dieu aux nations païennes (figurées par les Mages d’Orient), il nous est bon de considérer cette épiphanie de Dieu dans la Création, qui s’adresse à tout le genre humain : chrétiens, juifs et musulmans, mais aussi païens, agnostiques et incroyants. La Création est un fait qui s’impose à tous, et qui interroge la raison de tous. Une réflexion rationnelle, intelligente, métaphysique (pour employer un terme barbare…) sur ce donné de la Création, sur l’être même de l’Univers et sur ses caractéristiques, peut nous donner la certitude de l’existence de Dieu. Nul besoin, pour croire que Dieu existe, d’être un mystique ou un homme de foi ; il nous suffit de réfléchir sur l’univers. Et cela, tout le monde en est capable. Tout le monde peut croire en l’existence de Dieu à partir de l’œuvre de la Création.
Il n’est donc pas illégitime de vouloir rechercher des preuves de l’existence de Dieu. Car il en existe ; Dieu nous en a laissé de nombreuses dans l'oeuvre de la Création, et Il nous a donné une intelligence pour les reconnaître comme telles. Ne pas vouloir les « voir » serait sans doute un péché, au sens où le Pasteur l’entend : le « refus d’être humain » (cf. Ce que nous enseignent les sciences de la nature : commentaire n° 117) c'est-à-dire : créature douée de raison.
Une fois admis l’existence de Dieu, je pourrai ensuite réfléchir sur un autre fait réel, inscrit dans notre histoire, qui est le fait religieux, qui désigne tous les efforts entrepris par les hommes depuis leur origine pour entrer en relation avec ce Dieu inconnu dont l’existence nous est révélée par l’Univers physique. Et je pourrai m’intéresser plus particulièrement à ce petit peuple d’hébreux nomades installés en terre de Canaan au 19e ou 18e siècle avant notre ère, qui prétend avoir été choisi (« élu ») par ce Dieu inconnu tant recherché par les hommes, pour recevoir de Lui la Révélation de son mystère. Je pourrai éprouver l’authenticité de cette Révélation en vérifiant, avec le recul de l’Histoire, la pertinence et la véracité de son contenu. Je pourrai aussi m’interroger sur l’étonnante destinée du plus illustre des fils d’Israël : Jésus, le Nazaréen. Et méditer sur son œuvre, en particulier sur cette Eglise qu’il a bâtie autour de ses Douze Apôtres et qui existe encore aujourd’hui, répandue à travers le monde.
Sur tout ce donné, physique et historique, je pourrai réfléchir, raisonner, méditer, confronter des idées contradictoires, entendre les arguments des uns et des autres. Et me faire une opinion.
Je pourrai croire en l’existence de Dieu, parce que je pourrai reconnaître que cette option est la plus rationnelle de toutes.
Je pourrai croire en la Révélation divine, parce je pourrai en vérifier l'authenticité dans l’expérience historique du peuple d’Israël, de Jésus-Christ et de l’Eglise.
Je pourrai ainsi écarter de mon champ de pensée toutes les autres propositions de sens que l’humanité s’est forgée au fil des siècles, soit à raison de leur manque de rationalité, soit parce qu’elles contredisent la Révélation divine.
Convaincu que Dieu existe, par l’observation de l’Univers ; que Dieu s’est révélé à Israël, par l’étude du fait religieux ; que la Bible est porteuse de cette révélation et que Jésus-Christ est le Fils de Dieu fait homme annoncé par la loi et les prophètes ; que l’Eglise est Son œuvre et le moyen institué par Lui en vue du Salut de tous ; je pourrai alors adhérer par la foi à la Révélation divine, et me laisser transformer par elle. Je pourrai ouvrir toute grande la porte à Dieu, et lui permettre de changer ma vie.
Il est intéressant de noter au passage que c’est l’observation des étoiles qui a conduit les Mages d’Orient jusqu’au Christ, en passant par Israël et l’étude de ses Saintes Ecritures. Le cheminement des Mages me semble préfigurer et annoncer le nôtre à tous, « qui étions loin ». Nous aussi devons passer par l’étude de l’Univers et la Révélation biblique pour rencontrer le Logos, la Raison créatrice qui s’est faite homme, en Jésus de Nazareth.
La foi n’est donc pas adhésion irrationnelle et aveugle à l’existence de Dieu, mais bien plutôt adhésion de notre rationalité à une Raison plus haute révélée par Dieu, et que Dieu Lui-même est. La foi ainsi entendue présuppose la croyance en l’existence de Dieu, car pour accueillir la Révélation de Dieu, il nous faut d’abord croire que cette Révélation vient de Dieu ; et pour croire que cette Révélation vient de Dieu, il nous faut d’abord croire en l’existence de Dieu.
Bien entendu, le Seigneur est libre de bousculer ce bel ordonnancement en se révélant à nous dans une lumière éclatante comme il le fit pour St Paul, ou dans la beauté d’un chant liturgique comme il le fit pour Claudel. Il peut, s’il le veut, nous toucher en plein cœur, et se manifester directement à nous, sans la moindre médiation. Mais notons bien que tel n’est pas son mode d’agir habituel. Et quoiqu’il en soit, il nous faudra bien à un moment ou à un autre réfléchir sur Dieu et sur la Révélation qu’il a faite de Lui. Si ça n’est pas avant l’expérience de la foi, ce sera après (le cheminement de Claudel est exemplaire à cet égard). Mais on ne pourra pas, en tous les cas, faire l’économie de l’intelligence. Parce que notre nature le requiert. Et que Dieu le veut ainsi.
Dieu ne veut pas nous révéler des vérités auxquelles nous pouvons avoir accès par notre raison naturelle ; Il nous aime trop pour cela. Dieu veut nous laisser la joie de découvrir par nous-même les vérités contenues dans la Création et dans l’Histoire des hommes. La Révélation divine n’a pour objet que ce sur quoi notre raison ne peut avoir immédiatement accès, et c’est pourquoi elle requiert la foi, qui est l’assentiment de notre raison à la révélation que Dieu nous fait de vérités qui la dépasse, dans lesquelles notre intelligence trouve une Lumière précieuse pour son exercice propre – qui ne se trouve donc pas suspendu par l'accueil de la Révélation mais sur-élevé (dans l'activité théologique).
La foi est certes une grâce que Dieu communique à l’homme pour qu’il soit capable de le reconnaître comme son Seigneur et d’obéir à sa parole ; mais elle est aussi un acte de l’homme dont la raison le conduit à décider librement de s’en remettre à Dieu et de fonder son existence sur le roc de sa Parole ; la foi est libre réponse à cette Parole.
L’homme a donc une responsabilité au regard de sa propre foi : en ne réfléchissant pas rationnellement sur l’existence de l’univers et sur le fait religieux, l’homme peut entraver le don de la foi que Dieu veut lui faire. Inversement : l’homme peut déblayer en lui ce qui fait obstacle au don de la foi, en réfléchissant sérieusement à l’œuvre de la Création. Inutile par conséquent d’attendre que la foi nous tombe dessus comme le gain du gros lot au Loto. Et absurde d’affirmer que nous n’avons pas à nous convertir au motif que Dieu ne nous a pas donné la foi. Car si Dieu nous a donné la raison, c’est qu’il veut nous donner la foi.
S’il est vrai que la foi est un don surnaturel fait à quelques uns, la croyance est un don naturel accessible à tous afin que tous parviennent à la foi. Il convient donc de bien distinguer les deux ordres de connaissance de Dieu. Autant la croyance requiert des « preuves » tangibles pour être satisfaite et sollicite la raison humaine, autant la foi requiert la confiance du croyant et sollicite le consentement de sa volonté ; mais la seconde présuppose la première.
Pour prendre une image : je peux croire en l’existence de l’Himalaya sans l’avoir vu, parce que ma raison me commande d’y croire ; mais je peux ne pas vouloir y aller et la connaissance de son existence ne changera rien à ma vie. Eh bien pareillement : la croyance en Dieu est connaissance de l’existence de Dieu, mais cette connaissance est à elle seule impuissante à changer ma vie ; c'est la foi en Dieu qui me fait entrer dans la vraie connaissance de Dieu qui est intimité de vie avec Lui, dans l’obéissance de sa Parole. Ainsi, je crois en Dieu non pas parce que je crois en son existence, mais parce que, croyant qu’il existe, je Lui fais confiance pour gouverner ma vie, et la gouverner bien. Je peux alors la remettre entre ses mains pour qu’Il fasse de moi ce qu’Il lui plaira. Et je suis prêt pour cela à accepter des vérités qui dépassent ma raison – mais dont ma raison fera sa nourriture dans l'étude théologique – et à dépendre entièrement de Lui pour vivre ma vie sur cette terre. Voilà, me semble-t-il, ce qu’est la foi, celle-là même qui nous sauve et qui nous donne la vie éternelle.
Article initialement publié le 6 janvier 2008